La guerre d’Ukraine, une guerre européenne?

Conflictualité et résiliences croisées

Ukraine – Europe – Russie

Zénon Kowal, Délégué Général hon. des Gouvernements francophones de Belgique (Wallonie-Bruxelles)
Athènes, 6 novembre 2023
Assemblée régionale «Europe» – Assemblée Parlementaire de la Francophonie
Allocution de Zénon Kowal,
Délégué Général hon. des Gouvernements francophones de Belgique (Wallonie-Bruxelles)

 

Monsieur le Délégué régional,

Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités,

L’objectif de mon exposé est d’esquisser les raisons principales qui ont pu pousser la Russie à entrer dans une guerre non déclarée contre l’Ukraine…et, si cette guerre est une « guerre européenne », quelle est l’interaction croisée entre l’Ukraine, l’Europe et la Russie?

Je rappellerai que pour la Russie, la guerre contre l’Ukraine est toujours appelée « opération spéciale » et que celui qui, en Russie, utiliserait le terme de « guerre » est passible de poursuites pénales.

Pour resituer le contexte, rappelons que cette guerre fut précédée sur l’ancien territoire de l’URSS de deux guerres en Tchétchénie de 1994 à 1996 et de 1999 à 2000…puis d’une guerre en Géorgie en 2008, suivie d’une invasion de la Crimée en 2014 et de la création de deux soi-disant républiques autonomes en Ukraine (Louhansk et Donetsk) qui selon un scénario bien connu ont appelé la Russie à l’aide…et puis, il y a eu cette fameuse « opération spéciale » lancée le 24 février 2022 qui ne visait pas seulement à intervenir dans le Donbass mais bien à envahir la capitale, Kyiv, dans le cadre d’une attaque éclair, à faire tomber la seconde ville du pays, Kharkiv, dans le Nord-Est et à progresser jusqu’à Odessa pour couper l’Ukraine de son accès à la Mer Noire…

Pour la petite histoire, on raconte même que dans de nombreux véhicules russes saisis au Nord de Kyiv, on a trouvé dans le paquetage des soldats – des uniformes de parade…ils pensaient en effet conquérir la capitale en quelques jours, comme ils l’avaient fait avec la Crimée en 2014…et défiler sur le Khreshtshatyk, les « Champs Elysées » de Kyiv pour célébrer leur victoire. C’était mal connaître les Ukrainiens, leur esprit de résistance et l’évolution des mentalités en Ukraine depuis la révolution de la « dignité » en 2013-2014 qui avait causé la fuite du président de l’époque, Viktor Ianoukovitch…

Un autre élément de contexte à prendre en considération quand nous parlons de la Russie est la situation héritée lors de la chute de l’URSS en 1991.

Lors de la dislocation de l’URSS, Moscou avait laissé à différents endroits du territoire soviétique plusieurs abcès de fixation qu’il pouvait activer à sa guise le moment venu.

J’en mentionnerai au moins quatre qui me semblent évidents :

  • La Géorgie

Avec des tendances séparatistes en Ossétie du Sud et en Abkhazie…ces tendances ont été soutenues et activées, des gouvernements séparatistes (comme plus tard en Ukraine à Louhansk et Donetsk) ont été créés, un appel à l’aide a été lancé à la Russie…nous connaissons la suite…la Géorgie a perdu un tiers de son territoire et une grande partie de sa souveraineté.

  • La Crimée et le port de Sébastopol

Suite à un accord signé en 1995, après d’âpres négociations, l’Ukraine et la Russie se partagent la flotte soviétique de la Mer Noire, respectivement à concurrence de 13 et 87% et l’utilisation du port de Sébastopol. Selon un bail renouvelé en 2010, la flotte russe pouvait y rester jusqu’en 2042, avec une option jusqu’à 2047. 15.000 militaires russes y étaient stationnés et, selon les accords, ce nombre pouvait aller jusqu’à 25.000, en cas de besoin…le besoin est apparu en mars 2014, quand des « petits bonshommes verts, sans signes distinctifs » ont envahi la presqu’île et l’ont ensuite annexée à la Russie sur base d’un référendum bidon (16 mars 2014 – 96,77%) dénoncé par l’ONU et non reconnu par la communauté internationale…

  • Le Nagorny Karabakh

Point de conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan…la Russie était en principe celle qui devait jouer le rôle de protecteur de l’Arménie, alors que l’Azerbaïdjan était dans la sphère turcophone…La Russie a vendu des armements aux deux protagonistes…et la suite de l’histoire vous la connaissez puisqu’elle a conduit à la guerre et à l’exode des Arméniens du Karabakh.

  • La Transnistrie

Zone « séparatiste » de la Moldavie, entre celle-ci et l’Ukraine. Lors de la chute de l’URSS, en 1991, cette zone s’est proclamée indépendante, sans aucune reconnaissance internationale. La 14e armée soviétique était basée sur son territoire…et y est restée. Quand la Moldavie a voulu rétablir sa souveraineté, une guerre a éclaté en 1992, rapidement suivie d’un cessez-le-feu…Pour l’instant, cette zone d’instabilité est toujours présente et les risques d’une potentielle déstabilisation de la Moldavie sont toujours d’actualité.

Ces quatre abcès de fixation permettaient à la Russie d’intervenir quand elle le souhaitait pour restaurer son autorité ou son influence dans les régions concernées. Comme nous le voyons, elle ne s’en est pas privée…et comme nous le voyons également, toujours sous un couvert d’une pseudo-légalité qui lui permettait de justifier ses interventions… « appels à l’aide, justifications pseudo-historiques ou autres »

Mais revenons-en à l’Ukraine. En 2014, j’ai écrit un article pour la Revue Générale (Belgique) qui était intitulé « Un scénario presque parfait »…que voulais-je dire par là ?

Tout simplement que la Russie, au départ, ne prévoyait pas d’entrer en guerre contre l’Ukraine… d’ailleurs, elle n’arrêtait pas de parler de « peuple frère » à propos de l’Ukraine…il aurait donc été difficile de justifier une intervention…pourquoi attaquer un « peuple frère » ?

En fait, elle avait un plan totalement différent et qui aurait été gobé sans difficulté par les partenaires internationaux…elle travaillait depuis des années à l’infiltration et à la déstabilisation de l’Ukraine, de l’intérieur, par tous les moyens possibles et imaginables. Le fruit « pourri » devait tomber dans son escarcelle sans éveiller de soupçons au niveau d’une communauté internationale qui percevait la Russie comme un partenaire fiable avec qui les intérêts économiques et financiers mutuels primaient. Des agents d’influence médiatiques comme les chaînes Russia Today (créée en 2005) et Sputnik (en 2014) diffusaient un discours de propagande lénifiant… La guerre hybride dont peu de personnes parlaient à l’époque était déjà bien lancée…

En Ukraine, par exemple, l’espace médiatique était grandement couvert par des chaînes télévisées russes ou russophones proches de Moscou… A l’époque du Président Koutchma (1994-2005), entre 2002 et 2005, le chef du secrétariat présidentiel était un certain Viktor Medvedtchouk, qui avait des liens très étroits avec le Président Poutine puisqu’ils étaient parrains de leurs enfants respectifs… peu de gens savent qu’en 2013 les ministres de la défense et de l’intérieur du dernier gouvernement du Président Ianoukovitch étaient tout simplement russes…les services de la sûreté avaient été complètement infiltrés, l’armée était en déliquescence totale…et donc l’invasion et l’annexion de la Crimée ne furent qu’une simple formalité, de même que l’infiltration et la dissémination d’agitateurs « séparatistes » dans la région du Donbass.

Certains « experts » parlent à ce propos de « guerre civile » dans le Donbass…

Je conteste totalement cette appellation. Suite à mes recherches et aux multiples contacts que j’ai pu avoir sur place, il est clair que sans l’ingérence de la Russie, d’abord par voie d’infiltration et de déstabilisation, puis par un soutien armé, il n’y aurait jamais eu de création des soi-disant « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk ». Il ne s’agit donc pas d’une guerre civile mais bien d’un épisode d’une guerre plus vaste qui a pris toute son ampleur et découvert son véritable visage avec l’invasion à large échelle du 24 février 2022.

Sans l’ingérence de la Russie, les différends qui pouvaient exister au sein de l’Ukraine auraient été traités par voie légale et parlementaire, conformément à la Constitution ukrainienne et aux règles de droit en vigueur.

Venons-en maintenant à l’Europe et à la perception que bon nombre de responsables européens avaient de la Russie.

Nombreux étaient ceux qui pensaient que les liens économiques que les différents pays européens ou occidentaux allaient tisser avec la Russie amèneraient celle-ci à partager d’abord les mêmes règles de marché et, par effet d’entrainement, si tout se passait bien, progressivement, les mêmes valeurs…

Malheureusement, les partenaires européens ne connaissaient que peu ou prou l’histoire de la Russie et se sont souvent laissé abuser par des images d’Epinal qui pendant des décennies ont été distillées par Moscou – qu’elle soit capitale de l’URSS ou de la Russie… ces images sont « la Sainte Russie, la Troisième Rome, les Peuples frères, l’âme russe ». Pouvons-nous aujourd’hui encore croire à ces clichés ?

Je me souviens qu’avant la chute de l’URSS, pratiquement tout le monde confondait URSS et Russie…on ignorait qu’il y avait 15 républiques en URSS…et puis, à partir de 1991, on a redécouvert qu’à part la Russie, du côté européen, il y avait l’Ukraine, le Belarus et des pays baltes dont, tout compte fait, on n’avait jamais reconnu l’annexion…

On ne savait pas que, pratiquement depuis sa création, la Moscovie (c’est ainsi que s’appelait la Russie à l’origine – au XIIe siècle) avait vécu sous le joug puis en symbiose avec la tradition et les coutumes mongoles. Pendant trois siècles, ils ont vécu selon un ordre qui n’a rien à voir avec le droit romain ou les préceptes classiques de la Grèce antique qui sont ceux de la grande majorité des pays européens…alors que la principauté de Kyiv, elle, était proche de Byzance et que Kyiv ainsi que nombre de ses cités vivaient selon les principes du droit de Magdebourg !

L’erreur d’un grand nombre d’Européens a été de croire que puisqu’ils s’habillent comme nous et nous ressemblent, on peut traiter avec les Russes comme avec les citoyens d’un autre Etat européen…certains hommes politiques européens se sont même retrouvés invités avec des ponts d’or, dans des conseils d’administration d’importantes sociétés russes (Gazprom)…

Un Ambassadeur de Belgique qui a été en poste à Moscou m’a affirmé que jusqu’à la veille de l’invasion du 24 février 2022, il n’aurait jamais cru que la Russie attaquerait l’Ukraine. Les partenaires russes qu’il avait…et surtout ceux qui faisaient partie du monde des affaires, étaient tellement semblables à ceux que nous pouvions croiser à Paris, Londres, Bruxelles ou Athènes…

Je lui ai répliqué qu’il suffisait de leur demander ce qu’ils pensaient de l’indépendance de l’Ukraine (sans oublier la Crimée), et que là il aurait pu juger si c’étaient vraiment des démocrates ou des impérialistes… Très souvent, la démocratie russe s’arrête là où il est question de l’indépendance de l’Ukraine.

Alors pourquoi envahir l’Ukraine et entrer ouvertement en guerre contre elle, en violant toutes les règles du droit international ?

Pour reconstituer l’URSS ? Même si, d’après Poutine, sa disparition est la plus grande tragédie du XXe siècle – mais à l’époque, c’est le communisme qui tenait ensemble l’URSS, or le parti communiste n’est plus le parti unique qui dirigeait le pays à l’époque soviétique…ce n’est donc pas une raison idéologique.

Alors pourquoi attaquer l’Ukraine ? Poutine a dit que l’Ukraine est dirigée par des antisémites néo-nazis en rappelant la « grande guerre patriotique » de 1941-1945.
Cette guerre évoque des souvenirs douloureux chez de nombreux Russes dont les parents sont morts en combattant l’Allemagne nazie…et donc combattre une Ukraine qui serait « néo-nazie » … cela parle aux gens… Par contre, on oublie étrangement de mentionner dans les manuels d’histoire que Staline avait signé un pacte avec Hitler (Molotov – Ribbentrop, 23 août 1939), que la 2e guerre mondiale a commencé en septembre 1939 et que l’Allemagne et l’URSS se sont partagé la Pologne. Et puis, la victoire de l’Armée rouge est privatisée par la Russie, on oublie de mentionner que les Ukrainiens constituaient un contingent important de cette même Armée…et que la plus grande partie de cette guerre s’est déroulée sur le territoire de l’Ukraine…

Quant à l’argument d’antisémitisme de l’Ukraine actuelle, il devient difficile à justifier avec un Président, Volodymyr Zelensky, qui est d’origine juive…et qui, quand il a commencé son mandat, avait un 1er Ministre – hérité de son prédécesseur, le Président Porochenko – Volodymyr Hroïsman qui est juif lui aussi…donc le mobile antisémite ne tient pas la route. D’autant plus que, si on relève les cas d’antisémitisme en Ukraine, ces dernières années, ils sont dix fois moins nombreux que, par exemple, en France ou en Allemagne.

Venons-en maintenant à l’élément néo-nazi ou globalement « extrême droite » dont le Président et les médias russes accusent l’Ukraine…oui, une extrême droite existe en Ukraine mais, de nouveau si on compare l’Ukraine à d’autres pays européens, ou à cette même Russie, on voit que les partis d’extrême droite en Ukraine n’ont obtenu globalement que près de 2% des votes lors des dernières élections législatives…alors que dans des pays proches du nôtre comme la France ou l’Italie, vous savez très bien quel score font les partis d’extrême droite.

Mais il se fait que la Russie de Poutine continue à utiliser vis-à-vis de l’Ukraine les mêmes méthodes de désinformation qu’à l’époque soviétique… « les Ukrainiens sont des collabos (nazis) et donc des antisémites ».

A l’époque de la guerre froide, ces accusations tendaient à présenter les Ukrainiens et l’Ukraine comme des pestiférés et à les rendre infréquentables par la communauté internationale…et ceci, à une époque où l’Ukraine elle-même n’avait pas voix au chapitre…seule sa diaspora pouvait parler mais elle était la cible principale de ces diffamations. La situation était donc très difficile.

Aujourd’hui, depuis que l’Ukraine est indépendante, ce ne sont plus exclusivement les anciennes puissances occupantes qui écrivent l’histoire de l’Ukraine ou, si elles tentent de le faire, l’Etat ukrainien ou la société civile peuvent réagir. Aujourd’hui, l’Ukraine en tant que sujet de droit international – et non plus en tant qu’objet – se réapproprie son histoire et remplit les nombreuses pages blanches ou noires, telles le Holodomor, laissées par ceux qui l’occupaient et l’exploitaient en la réduisant au rang de colonie.

Je rappelle que le Holodomor, famine artificielle organisée par Staline en 1933 dans le cadre de la collectivisation forcée, a coûté à l’Ukraine un minimum de quatre à cinq millions de victimes mortes de la faim sur les terres les plus fertiles du monde, les fameuses « terres noires ». Un débat animé subsiste encore sur le nombre de victimes où on évoque des chiffres s’élevant jusqu’à sept, neuf ou dix millions …mais de nombreuses archives ont été détruites et d’autres, rapatriées à Moscou, sont aujourd’hui inaccessibles…

A l’époque soviétique, parler du Holodomor était « tabou » … aujourd’hui, cette famine artificielle a été reconnue comme génocide par le Parlement européen, par le Parlement belge et de nombreux autres parlements de par le monde…la vérité finit toujours par revenir à la surface.

Nous voyons donc que la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine ne relève pas de raisons « idéologiques » où le communisme se battrait contre le « néo-nazisme ».

D’ailleurs dans sa lutte contre le néo-nazisme, la Russie vise également l’Europe, les Etats-Unis et globalement l’Occident.

Pour mémoire, je rappellerai que, le 4 avril 2022, le site de l’agence de presse russe Ria Novosti a mis en ligne une tribune de Timofeï Sergueïtsev (un des principaux idéologues de la « dénazification ») qui revient sur le concept de « dénazification » utilisé par Poutine pour justifier son agression sur l’Ukraine et explicite ce concept, dont il est un des principaux idéologues et théoriciens. Ce texte exprime pour la première fois, sans aucune ambigüité, que la guerre menée par Poutine ne s’attaque pas seulement à l’Ukraine mais à l’ensemble des valeurs européennes et occidentales : « L’Occident collectif est lui-même le concepteur, la source et le sponsor du nazisme ukrainien…la dénazification sera inévitablement une désukrainisation…l’Ukraine, comme l’histoire l’a montré, ne peut exister en tant qu’Etat-nation et les tentatives de « construction » d’un tel Etat mènent inévitablement au nazisme…la dénazification de l’Ukraine est aussi son inévitable déseuropéanisation… la Russie n’aura pas d’alliés dans la dénazification de l’Ukraine, puisqu’il s’agit d’une affaire purement russe, et aussi parce que ce n’est pas seulement (…) l’Ukraine nazie qui sera éradiquée mais aussi et surtout le totalitarisme occidental, les programmes imposés de dégradation et d’effondrement des civilisations, les mécanismes de subordination à la superpuissance de l’Occident et des Etats-Unis ».

Nous avons donc ici une réponse à la première question posée dans le titre de mon exposé. Pour la Russie, il s’agit bien d’une guerre européenne ou contre l’Europe…même si souvent, en Europe, on a tendance à dire qu’on ne se bat pas contre la Russie…mais que l’on soutien l’Ukraine dans son combat légitime contre l’envahisseur russe.

Nous constatons qu’à ce jour, l’UE a adopté 11 paquets de sanctions contre la Russie et qu’elle en prépare un 12e, malgré les oppositions récurrentes de la Hongrie et aujourd’hui de la Slovaquie…

Pour répondre au 2e du titre de mon exposé, « conflictualité et résiliences croisées », vous avez vu qu’entre la Russie et l’Ukraine, il s’agit d’un conflit de traditions et de modèles de référence – le modèle asiatique face au modèle européen et puis le rêve de grandeur, de messianisme et tout simplement de tradition impériale de la Russie…

Poutine quand il interrogea un jour un écolier en lui demandant quelles sont les frontières de la Russie et reçut une réponse circonstanciée du brillant écolier, lui caressa la tête pour le féliciter… mais le corrigea en disant « la Russie n’a pas de frontières »…réponse révélatrice, s’il en est…

On me pose régulièrement la question suivante … mais quand et comment cette guerre va-t-elle finir ?

C’est ici que progressivement j’ai développé la thèse des trois sphères qui évoque les notions de conflictualité et résilience croisées.

Il y a donc trois sphères qu’il convient de suivre en parallèle. La première représente l’Ukraine, la seconde l’Europe et la troisième la Russie.

La première sphère – l’Ukraine, est agressée par la troisième – la Russie.

Contrairement à ce que pensaient un bon nombre d’Etats, cette première sphère résiste et suscite un grand élan de solidarité. Elle fait preuve de résilience.

Mais, sur la durée, cette résilience est tributaire du soutien des partenaires réunis dans la coalition de Rammstein. Seule, l’Ukraine ne peut pas faire face à la Russie. Elle a besoin du soutien extérieur pour résister et garder le moral malgré un tribut humain et matériel difficilement supportable dans un combat de David contre Goliath.

La deuxième sphère, que nous plaçons au centre, et qui représente l’Europe et la coalition qui soutient l’Ukraine, est, elle aussi, attaquée par la 3e sphère…par la Russie, mais de façon beaucoup plus sournoise. Par des médias comme « Russia Today » (2005) ou Spoutnik (2014). La Russie s’efforce d’influencer les opinions publiques et de s’attacher des décideurs politiques. Elle bénéficie pour cela d’un accès qui lui est offert par les règles de la démocratie. Elle pèse sur les processus électoraux et essaie d’affaiblir la coalition soutenant l’Ukraine (élections). Cette deuxième sphère est donc fragile. La démocratie doit donc assurer sa défense, au risque de devoir passer la main à des partis d’opposition qui n’ont jamais été confrontés au pouvoir et qui peuvent se permettre une approche démagogique et populiste.

La première sphère, l’Ukraine, doit donc, elle aussi, être en contact permanent avec cette deuxième sphère, l’UE, la coalition (Ramstein) qui la soutient, pour lui demander sans arrêt de continuer et d’augmenter ce soutien et pour rappeler sans cesse les raisons de l’agression de la Russie.

Quant à la troisième sphère, nous avons déjà vu qu’elle attaque la première, de façon directe, et la seconde de façon insidieuse.

Le problème pour la première sphère, l’Ukraine, est qu’elle doit se battre contre un pays nettement plus fort et plus nombreux qu’elle.

Le problème pour la seconde sphère, celle des alliés de l’Ukraine, est qu’elle ne peut se battre de façon ouverte contre la troisième sphère, la Russie, de façon armée, au risque d’être entrainée dans une guerre totale. Mais elle ne peut pas se battre non plus à armes égales pour influencer la population russe, étant donné que le système russe est fermé et cadenassé au niveau des médias.

Si l’on veut essayer de prévoir ce qui risque d’arriver à cette guerre civilisationnelle qui se déroule entre la Russie et l’Ukraine (et ceux qui la soutiennent), il faut donc suivre de près et simultanément l’évolution de chacune de ces sphères.

Le seul vrai problème c’est que la troisième sphère reste pour nous une inconnue étant donné que son système est totalitaire ou fermé. Rappelons un simple exemple…

Qui aurait pu prévoir le lancement d’une offensive de Prigogine et de ses Wagnériens contre le Kremlin ?

Personne…et beaucoup d’autres inconnues subsistent, on parle souvent de la santé de Poutine, de proches qui tombent d’un balcon ou qui sont empoisonnés…on observe aussi des mouvements comme ceux qui ont récemment eu lieu sur l’aéroport central du Daghestan.

Avant cette guerre où la Russie est finalement apparue avec un visage que la majorité des Européens ne lui connaissaient pas (ou ne voulaient pas lui donner), l’Europe était la proie de difficultés récurrentes (Brexit, dissensions internes). La guerre de la Russie en Ukraine lui a permis de se réveiller, de se ressouder, ainsi que le montrent les sanctions, d’élaborer des alternatives, ainsi que le montre la politique énergétique, de relancer la question d’une défense européenne ou d’un pilier européen de défense. L’Europe a vu que des citoyens d’un Etat non membre pouvaient encore mourir pour défendre des valeurs qui sont les siennes, on redécouvre une valeur oubliée comme le patriotisme…

Je me permettrai de rappeler que le Président Macron avait dit peu avant le début de l’agression russe que l’OTAN était en état de mort clinique…or l’OTAN aussi connaît une renaissance et se redécouvre une raison d’être avec une redistribution des rôles. Rappelons les changements incroyables qui se sont déroulés avec la politique de défense en Allemagne, les arrivées de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN ! C’était totalement inimaginable avant le 24 février 2022 !

Monsieur le Délégué régional,

Mesdames et Messieurs,

En guise de conclusion, je souhaiterais rappeler un proverbe ukrainien qui dit que la « méconnaissance de l’histoire ne nous dédouane pas de notre responsabilité » … et aujourd’hui beaucoup de gens et, avant tout, les Ukrainiens, redécouvrent leur histoire.

Aujourd’hui, pour l’Ukraine, les mythes longtemps assénés par la propagande russe volent en éclats…l’Europe découvre ou redécouvre une Russie qu’elle ne pouvait ou ne voulait pas s’imaginer…

Seul un renversement de situation difficilement prévisible aujourd’hui en Russie pourrait permettre d’envisager une évolution, mais pour cela il faudrait mettre fin à une guerre que l’Ukraine ne peut pas perdre au risque de disparaître.

Pour la Russie, il faudra dédommager l’Ukraine pour les pertes et destructions occasionnées et condamner les exactions passées et présentes, sans quoi nous risquons de voir se répéter ces crimes qui n’auront pas été punis.

L’Ukraine ne peut pas déménager…elle est condamnée à vivre avec la Russie à ses frontières.

Ce n’est pas l’Ukraine qui a envahi la Russie, ce sera donc à la Russie de changer et de s’engager dans une nouvelle voie qui ne menacera plus ses voisins et le monde. Je vous remercie de votre attention.

Si vous le souhaitez, pour mieux comprendre l’histoire de l’Ukraine et celle de ses relations avec la Russie, je me permettrais de vous faire deux ou trois suggestions de lectures incontournables :

Aux portes de l’Europe, Serhii Plokhy, Gallimard 2022

Russes et Ukrainiens – les frères inégaux, Andreas Kappeler, CNRS Editions, 2022

Jamais frères? , Anna Colin Lebedev, Seuil, 2022

 

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